L'Institut d'Analyse de la Pratique Lyonnais

L’APDI pour éviter la confrontation directe entre deux professionnels

 

 

AFIN DE MAINTENIR LA CONFIDENTIALITE, LES LIEUX, LES TYPES DE PROFESSIONNELS ET LES DEPLACEMENTS ONT ETE MODIFIES.

 

Il s’agit d’une séance d’Analyse de la Pratique avec le Déplacement dans l’imaginaire (APDI). L’institution est située à proximité de Lyon et elle accueille de jeunes autistes. L’équipe est composée de paramédicaux (Kinésithérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, ergothérapeute…). Elle est animée par Jean-Claude HATT, Psychologue Clinicien, intervenant à l’IAPL. Cette séance va montrer comment le Déplacement dans l’Imaginaire permet d’éviter la confrontation directe entre deux professionnels. Cela permet aussi d'éviter les projections et les jugements de valeur. Il fait aussi état d'un temps princeps auquel il faut pouvoir réagir immédiatement pour éviter que les Hypothèses de Base, théorisées par W.R. BION ne prennent le dessus.

 

 

 

La séance commence et très rapidement une ergothérapeute va proposer une vignette.[1] Il s’agit d’une séance avec plusieurs enfants. Elle indique que l’enfant avait déjà fait un caprice au début de la séance. Elle s’était alors approchée d’une petite fille et avait commencé à nouer une relation privilégiée avec elle, lorsque le garçon s’est rapproché. Il vient rapidement se coller à elle. Elle le repousse une première fois mais il va insister en venant mettre ses mains sur son visage mais « pas de manière agressive », précise-t-elle. Elle commence à se sentir envahie et oppressée et du coup elle le repousse à nouveau. Mais cela lui a fait perdre un peu le contact avec l’autre enfant qui s’en va ce qui va la contrarier. Elle va revenir vers l’enfant en lui proposant un contact via une balle. Mais le garçon veut un contact direct et essaie de venir mettre sa tête sur son ventre. Elle va s’éloigner à nouveau tout en observant l’enfant se mettre à se balancer rythmiquement.

 

Lors du temps de focalisation, elle précisera encore qu’elle avait discuté de la situation ensuite avec une collègue. Elle va lui dire que c’était de sa faute, qu’elle c’était trop intéressée à l’enfant il y a quelques temps et que du coup ce dernier cherche à se coller maintenant. « Tu ne sais pas garder la distance », lui avait-elle dit alors en riant.

 

Lorsque j’invite le groupe à se déplacer dans l’imaginaire [2], un professionnel dira qu’il ne voit pas de déplacement mais, s’adressant à la narratrice, il dira : « je pense que tu as du mal à communiquer ce que tu veux, et du coup, les autres ont du mal à comprendre ». Tout de suite je sens poindre le jugement, l’attaque assez directe, et du coup je vais rapidement recentrer sur la tâche primaire de ce troisième temps qui reste d’essayer de trouver une scène imaginaire pour déplacer les personnages.[3] « Si vous voulez bien on ne va maintenant plus s’adresser à la collègue mais parler de la narratrice, qui est là au milieu de nous. »[4] Je rebondis sur l’idée qu’il y aurait une difficulté à se faire entendre,[5] et alors une collègue pourra dire que c’est un peu vague mais qu’elle voit un bocal. Et petit à petit le groupe va construire une représentation avec ce bocal dans lequel viendront des poissons, des plantes vertes et des rochers.[6] J’interroge en demandant où pourraient être la narratrice et sa collègue. La narratrice devient ainsi un poisson et la collègue, une plante verte, observant ce qui se passe dans le bocal. Viendront ensuite les enfants en petits poissons et le groupe va pouvoir commencer à jouer sur cette nouvelle scène. La narratrice introduira une nouvelle donnée en disant que le bocal n’avait pas le dispositif à oxygène habituel. Elle précisera que ce poisson devait en manquer. La collègue se transforme alors en scaphandrier munis, lui, de bouteilles d’oxygène. Je reviendrais sur le poisson[7] en faisant l’hypothèse qu’il était bien en train pourtant de donner de l’oxygène au petit poisson avant que le deuxième arrive dans le bocal . «  Non, c’est l’inverse, le poisson était en train de refaire ses réserves, pompé qu’il avait été par l’autre petit poisson ».[8] Cela amène à une nouvelle transformation, le petit poisson  collant devenant une pieuvre. On peut jouer avec les différentes hypothèses la concernant : jalousie vis-à-vis du petit poisson  mais aussi besoin vital de se coller au poisson pour avoir de l’oxygène. Mais, malgré son désir et la seconde tentative, qu’il fera de se rapprocher à nouveau de la pieuvre, notre poisson, n’ayant pu refaire le plein [9], sera dans l’impossibilité d’en donner à la pieuvre. On peut donner du sens au ressenti de la narratrice que ce soit l’envahissement ou l’oppression (la main devient les tentacules de la pieuvre plaqués sur son visage tel l’ALIEN du film (ALIEN de Ridley Scott, 1979). Grace au déplacement, peut se construire quelque chose de pas trop violent tout en permettant de se représenter les jeux et enjeux des différents personnages. On peut faire des hypothèses sur ce qui s’est joué entre le poisson - narratrice ; l’homme grenouille - collègue et le petit garçon - pieuvre [10]. On peut remarquer avec humour que bien sûr c’est compliqué pour un poisson, une pieuvre et un homme grenouille de communiquer et de se faire comprendre.[11]

 

Lors des hypothèses concernant la suite du scénario, la narratrice dira qu’elle a bon espoir de pouvoir communiquer avec la pieuvre mais qu’avec l’homme grenouille se sera plus difficile. Un collègue dira que l’important est de continuer à en avoir envie pour que l’on puisse ensuite inventer ce langage commun. Un autre rajoutera qu’il y a pleins de poissons dans le bocal qui peuvent aussi aider. Une troisième émettra l’idée que le poisson pouvait se servir de son monde émotionnel pour essayer de communiquer ce qu’elle avait ressenti ce jour-là.

 

Lors du bilan, la narratrice dira qu’elle était contente d’avoir pu déposer cette vignette. Elle a eu l’impression d’avoir été écouté et entendu, mais aussi de comprendre certaines choses. Elle rajoutera qu’elle va veiller dorénavant plus à sa réserve d’oxygène. Le déplacement a permis d’éviter des jugements de valeur entre les professionnels, de calmer le jeu et de jouer avec. On peut ainsi prendre acte que le poisson a manqué d’oxygène, et que l’on peut faire l’hypothèse que c’est cela qui lui a rendu difficile la communication avec tout le monde. Le fait de ne pas arriver alors à communiquer devient entendable par tous et par la narratrice en particulier, alors que la formule de la collègue au début de séance ne pouvait qu’être vécu comme une attaque et provoquer la fermeture.

 


 

[1] Le but de ce travail est de venir sur un temps précis, une vignette, même si souvent la narratrice a besoin de situer le contexte. C’est souvent un indice de la charge émotionnelle forte lorsqu’un professionnel apporte rapidement une vignette (ou à l’inverse lorsque le groupe reste très silencieux).

 

[2] Je spécifie généralement les différents temps, ce qui m’aide à contenir le groupe et rythme la séance, un peu comme une valse à cinq temps.

 

[3] C’est là tout l’intérêt du dispositif et du déplacement dans l’imaginaire. On évite ainsi les interactions directes qui peuvent vite devenir projectives et agressives.

 

[4] Il s’agit là, d’un premier déplacement immédiat qui consiste, en effet, une fois le récit fait ainsi que le temps de focalisation, à mettre tout de suite la collègue à distance en parlant de la narratrice et éviter ainsi que cela ne devienne une empoignade entre les deux professionnels, sans compter les mouvements des autres qui vont prendre parti pour l’un ou pour l’autre. On risque fort alors qu’une Hypothèse de Base, telle que postulé par W.R.BION (Recherche sur les petits groupes, tr. Fr., PUF, 2002,) prenne le dessus sur le groupe de travail.

 

[5] Il faut veiller à ce que l’intervention n’annule pas la parole de l’autre au risque d’agresser, à son tour, l’autre professionnel. Il faut simplement venir replacer ce qu’il dit dans le dispositif.

 

[6] Nous sommes là presque dans le cas idéal où un seul déplacement est proposé et de plus juste esquissé au départ. Cela permet plus facilement à l’imaginaire groupal de se déployer par petites touches successives.

 

[7] C’est un peu le travail systématique de l’intervenant que de s’intéresser surtout au personnage de la narratrice qui parfois a du mal déjà à apparaître, et ensuite peut vite être évacué au profit des autres personnages.

 

[8] On voit là que parfois la représentation de l’intervenant peut être fausse.

 

[9] Ni avec le petit poisson parti ailleurs, ni avec l’homme grenouille qui n’a pu sentir, à ce moment-là son manque.

 

[10] Il est intéressant de remarquer que l’image de la pieuvre n’apparait qu’en lien avec le vécu émotionnel de la narratrice. En allant ainsi, par étape, du petit poisson à la pieuvre on apprivoise ainsi la violence de la représentation.

 

[11] Encore une fois, l’intérêt du déplacement dans l’imaginaire permet de se rappeler que la communication n’est pas une évidence en soi malgré le langage. Le monde animal peut ainsi rendre compte des mouvements archaïques qui agitent tout être humain.

 

 

 

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